Tu avais pris ton poste, il était l’heure, vingt-trois heures. Toute la journée tu n’avais rien foutu, tu t’étais réveillé à deux heures, en bonne compagnie comme souvent, tu lui avais demandé de partir et peut-être que tu la laisserais revenir la nuit prochaine. Tu étais patraque, encore la gueule de bois à moitié. Tu regardes l’heure, tu vas faire un peu de sport même si t’as encore un peu de mal à comprendre où tu habites mais ça te fait du bien. Petit footing, juste histoire de te remettre un peu en forme. Puis dans ta course tu reçois un message, tu t’arrêtes dans ta lancée pour voir de quoi il s’agit. Tu constates que tout le gratin de Sandyland, les gosses de riche avec qui t’as fait tes classes, seront à The Palms ce soir. Ça te fait chier juste parce qu’ils vont te saouler avec leur réussite pendant que toi tu vas faire leur cocktail, tu n’espères pas gagner de pourboire avec eux, quoi que, ils pourraient juste faire semblant d’avoir de la peine pour toi et te jeter des billets à des sommes que le commun des mortels n’imagine même pas. Qu’on se le dise t’as encore pas mal de thunes de côté quand même. Ton père n’a pas dilapidé ta fortune quand même, il t’a déshérité mais tu n’as pas tout à fait tout perdu non plus. C’est peut-être ce qui plaît encore aux femmes qui vont et viennent dans ton lit. Tu ne te poses plus tellement la question, tu en profites, t’as déjà perdu beaucoup, tu préfères te voiler la face et oublier ce qu’il s’est passé en te noyant dans l’alcool. Bref, tu rentres dégoulinant de sueur, tu prends enfin ta douche après avoir fait un clin d’œil à ta petite voisine visiblement intéressée par toi. T’en joues beaucoup, et en fait tu t’en fous, t’es un peu comme un animal maintenant. Douche prise, la suite de la journée passe très vite. Déjà vingt-trois heures, tu vas donc prendre ton poste derrière le comptoir de la boîte. Tu n’es pas payé un salaire de fou mais c’est déjà pas trop mal, à côté tu prépares ton concours pour rentrer dans la police mais t’es tellement un déchet en ce moment que tu sais que pour le moment t’es pas prêt à être apte pour devenir flic. Faut te laisser du temps. Le temps de te remettre complètement, te laver de tes péchés, de l’alcool que tu avales pour oublier, de cette vie de débauche que tu vis à présent alors que ce n’est pas toi qui a asséné le « premier coup » si tu peux dire ça ainsi mais tu t’es vengé, t’aurais pas dû mais t’es pas faible comme mec enfin, pour accepter les conséquences alors que techniquement toi depuis tout ce temps t’as aimé quelqu’un qui ne t’a jamais aimé et qu’à juste profiter de la renommée de ta famille, et de ton fric. Tu lui as payé des bijoux, des weekends de luxe et pour te remercier, on te trompe avec ton pote. « you’re a loser Ethan » c’est ce que tu te répètes inlassablement mais tu ne montres rien à cause de ton père, qui t’as toujours dit que tu ne devais pas un faible, qu’il fallait porter un putain de masque dénué d’émotions pour se faire respecter, que les émotions c’était pour les femmelettes, le mec pas trop misogyne de base. Bref tu n’as jamais trop aimé ton père toute manière. Maintenant y a que de ta mère que t’es proche, elle cache bien le fait qu’elle te parle encore. Enfin voilà c’est compliqué dans ta famille maintenant. Enfin voilà, pour le moment tu te mets derrière le comptoir, ton lieu de travail. Petit débrief de ton boss avec toi et tes collègues, parce que clairement ce soir fallait se faire du fric vu l’arrivée de tes anciens « potes » qu’allaient claquer du pognon et bien boire. T’allais avoir du taff ce soir, mais c’était bien non ? Ton boss était enjoué, et toi, ça te faisait chier. Tu commences ton service, la nuit sera probablement longue mais tu n’auras pas le temps d’y penser, tu seras assez occupé comme ça. Les portes s’ouvrent et les gens commencent à se ruer à l’intérieur pour profiter du bon son qui émane des enceintes à te faire perdre l’audition. Toi tu ne te laisses pas abattre tu commences tes cocktails, un peu de tout, mais au vu de la population de ce soir, y aura probablement surtout des cocktails à base de champagne. T’en sors donc plusieurs, la vodka, whisky et compagnie sont derrière toi, tu gères tout ça tranquillement, comme si tu jouais d’un instrument. T’as pris l’habitude maintenant. Y a la queue, t’enchaînes les cocktails, tu fais ça sans réfléchir presque, c’est ton truc en fait, t’aimes bien ça finalement même si t’étais plutôt destiné à tenir la boîte plutôt que d’en être un employé mais qui sait ? Peut-être qu’un jour c’est toi qui tirerais les ficelles. Les clients se pressent, s’enchaînent, jusqu’à ce que tu tombes sur une grande brune, et que tu lèves les yeux au ciel en la reconnaissant. Tu soupires, ça te fait chier qu’elle soit là elle aussi, enfin non ça te fait pas aussi chier que ça mais voilà t’as pas envie de t’éterniser sur l’idée de ce que tu devrais ou non penser d’elle. Elle te demande un Cosmo, tu lèves encore plus les yeux au ciel. C’est bien les filles ça, à commander des cocktails vieux comme le monde. Tu lui prépares son cocktail quand même parce qu’il n’y a pas qu’elle non plus, donc tu te dis que tu seras débarrassé, mais tu sais aussi que, comme un con, tu vas la chercher du regard après. Tu lui fais un sourire forcé lorsque t’entends ce qu’elle vient de te dire. Pas de crachât non, j’veux pas qu’on dise que mes cocktails sont dégueulasses, et t’es sûre que t’as l’âge pour boire ça, j’devrais p’t’être te demander ta carte d’identité. T’es qu’un connard, tu tardes à la servir puis tu poses le verre avec une jolie paille rose fille. T’aimes bien la prendre encore pour une gamine alors que deux ans de différence c’est rien. Ça a toujours été des lancés de piques entre vous et puis au vu de cet échange c’est pas près de changer.